Échange stratégique
Tendances en matière de répartition de l’actif : l’essor d’une approche axée sur le « portefeuille total »
05 août 2025 par Peter Muldowney
Depuis des décennies, la répartition stratégique de l’actif (RSA) est le fondement de la gestion de portefeuille; elle vise à équilibrer les catégories d’actif pour atteindre les objectifs de rendement à long terme et les objectifs en matière de risque. Ce processus d’optimisation pondère le risque et le rendement attendus des différentes catégories d’actif afin de déterminer la RSA la plus appropriée. Son cadre simple est un gage de clarté et de responsabilité en matière de gouvernance, car il permet d’établir des points de référence pour le rendement total des portefeuilles. Il a également stimulé la croissance du secteur des services-conseils en placement, car les sociétés ont mis au point des modèles de répartition de pointe, des capacités de recherche pour les gestionnaires et des outils de mesure du rendement indépendants pour aider les investisseurs institutionnels à établir des stratégies de RSA et à choisir des gestionnaires d’actifs.
Une approche qui gagne beaucoup en popularité auprès des grands investisseurs est l’approche axée sur le « portefeuille total » (APT) – une approche globale et dynamique qui traite l’ensemble du portefeuille comme une seule entité intégrée. Le présent article examine en quoi l’APT diffère de la RSA et indique quels investisseurs sont actuellement les mieux placés pour profiter d’une APT intégrée.
Résumé de la RSA
Selon la RSA, des pondérations cibles à long terme sont définies pour diverses catégories d’actif d’un portefeuille en fonction des objectifs, de la tolérance au risque et de l’horizon de placement de l’investisseur. Pendant des décennies, un portefeuille composé à 60 % d’actions et à 40 % de titres à revenu fixe a été un exemple courant de RSA. Les grands investisseurs institutionnels intégraient aussi des placements non traditionnels, comme le capital-investissement, l’immobilier commercial et les infrastructures.
Le cadre de la RSA demeure une approche largement adoptée pour l’élaboration de stratégies de placement à long terme. Son attrait réside dans sa structure intuitive et la rigueur quantitative qu’elle apporte à la prévision des rendements, de la volatilité et des corrélations entre les catégories d’actif. De plus, ce cadre favorise la diversification, car il tire parti des caractéristiques complémentaires des différentes catégories d’actif.
Toutefois, l’une des critiques les plus fréquentes à l’égard de cette approche est le décalage entre la conception de la répartition de l’actif et la sélection des titres par les gestionnaires. Comme ces processus sont souvent menés séparément, un manque d’efficience peut se produire :
- Le profil risque-rendement du portefeuille réalisé peut s’écarter de la stratégie prévue;
- Les avantages de la diversification au sein des catégories d’actif à gestionnaires multiples peuvent être limités, ou
- Les occasions d’introduire des positions dans des catégories d’actif avantageuses ou de les accroître pourraient être retardées en raison du processus d’examen officiel requis pour les changements.
Par exemple, l’augmentation des pondérations ou l’ajout de nouvelles catégories d’actif exige habituellement un examen officiel de la composition de l’actif, ce qui peut ralentir la mise en œuvre d’améliorations ou de réponses aux conditions changeantes des marchés. Néanmoins, cette approche structurée offre également un avantage clé : elle permet aux investisseurs de rester concentrés sur leurs objectifs à long terme et d’éviter une réaction excessive aux fluctuations à court terme des marchés.
Qu’est-ce que l’APT?
Contrairement au modèle de RSA traditionnel, dans le cadre duquel les catégories d’actif sont gérées en vase clos, l’APT considère le portefeuille comme une entité intégrée unique. Selon cette approche, le portefeuille continue d’investir dans les mêmes catégories d’actif. Toutefois, le processus d’acquisition de positions dans ces actifs change, ce qui offre une plus grande souplesse en matière de répartition grâce à l’analyse des facteurs de risque du profil risque-rendement global du portefeuille. Les décisions de placement sont évaluées en fonction de leur incidence marginale sur le profil risque-rendement global du portefeuille, plutôt que sur leur possibilité de rendement au sein de chaque catégorie d’actif. Cette approche intégrée offre plusieurs avantages :
- Souplesse accrue pour réagir à la dynamique du marché;
- Répartition plus efficace du capital fondée sur les occasions relatives à l’échelle du portefeuille;
- Décisions en matière de diversification fondées sur des facteurs de risque plus généraux;
- Possibilité de tirer parti de l’expertise en matière d’actifs des différentes équipes de placement.
Toutefois, l’adoption de l’APT exige des changements importants à la structure de gouvernance et à la culture de placement d’une organisation. Elle comporte également des exigences considérables en matière de données et de technologie afin de pouvoir entreprendre une analyse intégrée des facteurs de risque visant à soutenir l’approche. Par conséquent, cette approche a été mise en œuvre principalement par de grands investisseurs publics mondiaux comme Investissements RPC (Canada), Future Fund (Australie), GIC (Singapour) et le New Zealand Superannuation Fund. Ces institutions disposent d’importantes équipes de placement intégrées à l’échelle mondiale, ce qui facilite la collaboration au sein des catégories d’actif.
Bien que l’APT soit souvent associée à la gestion interne, un précurseur de ce concept est apparu dès les années 1990. Bob Hamje, alors chef des placements pour les actifs de la caisse de retraite de TRW, a été le pionnier d’une approche globale à l’égard des portefeuilles en faisant appel à des gestionnaires externes. Ce qui distinguait ce modèle, c’est que les gestionnaires d’actifs étaient rémunérés en fonction du rendement total du portefeuille, et non seulement de leurs mandats individuels. De plus, les gestionnaires devaient recommander des ajustements à leur répartition du capital en fonction de leur conviction et de leur contribution aux rendements globaux du portefeuille.
Ce premier modèle a jeté les bases de la philosophie actuelle de l’APT, qui a commencé à prendre forme officiellement vers 2006 et qui a évolué depuis.
Différences en matière de gouvernance et de culture
Comme nous l’avons déjà mentionné, l’adoption de l’APT exige un important changement de culture – de la gestion des placements en vase clos, il faut passer à une gestion de portefeuille unifiée. Cette transition nécessite également que les conseils d’administration et les comités de placement soient disposés à déléguer un plus grand pouvoir décisionnel et à mettre en place de solides outils pour mesurer et évaluer l’exposition aux facteurs de risque.
La culture joue un rôle crucial dans le succès d’un secteur, quel qu’il soit, mais elle est souvent difficile à définir. Dans le contexte d’une APT, le changement de culture implique de favoriser la collaboration entre les disciplines de placement et d’harmoniser les incitatifs avec le rendement total du portefeuille. Les professionnels des placements ne sont peut-être pas tous à l’aise avec ce changement.
Le modèle de gouvernance de l’APT exige que les conseils d’administration et les comités de placement soient convaincus qu’un modèle de placement unifié peut produire de bien meilleurs résultats qu’une approche traditionnelle de SRA. Bien que la surveillance par le conseil demeure essentielle, l’APT diffère quant à son utilisation d’un portefeuille de référence – un point de référence simplifié axé sur les politiques qui reflète les objectifs à long terme, la tolérance au risque et les attentes de rendement de l’investisseur. Ce portefeuille de référence comprend habituellement des catégories d’actif traditionnelles et liquides, comme les actions mondiales et les titres à revenu fixe mondiaux.
L’analyse des facteurs de risque joue un rôle central dans l’APT, décomposant l’ensemble du portefeuille en facteurs de risque. Elle permet aux investisseurs de contrôler le risque de concentration involontaire et d’examiner plus facilement des scénarios hypothétiques quant à l’incidence de différentes conditions macroéconomiques ou de marché sur l’ensemble du portefeuille. Cette analyse des facteurs de risque aide également les conseils et les comités à mieux comprendre les expositions dans le cadre de leurs responsabilités de surveillance.
Le tableau ci-dessous présente les principales différences entre la RSA et l’APT :
Caractéristique | Répartition stratégique de l’actif (RSA) | Approche axée sur le « portefeuille total » (APT) |
---|---|---|
Rendement évalué par rapport à : | Indices de référence des catégories d’actif | Objectifs du fonds et portefeuille de référence |
Le succès est mesuré comme suit : | Valeur ajoutée relative | Rendement total du fonds |
Les occasions de placement sont définies comme suit : | Catégories d’actif | Contribution au rendement total du portefeuille |
Diversification obtenue grâce à : | Catégories d’actif | Facteurs de risque |
Répartition de l’actif déterminée par : | Processus axé sur le conseil d’administration | Processus axé sur le chef des placements |
Portefeuille mis en œuvre par : | Plusieurs équipes, qui se disputent des capitaux | Une équipe qui collabore entre les différentes stratégies |
Source : Thinking Ahead Institute
Les investisseurs qui utilisent actuellement la RSA peuvent intégrer progressivement des éléments de l’APT en suivant les étapes ci-dessous :
- Reformuler l’objectif de placement pour l’harmoniser au rendement total du portefeuille.
- Élaborer un tableau de bord unifié des risques pour consolider les positions dans toutes les catégories d’actif.
- Améliorer la souplesse de la répartition du capital au moyen de mandats complémentaires.
- Mettre sur pied une autorité décisionnelle centralisée, par exemple un sous-comité de portefeuille total.
- Investir dans des outils et une infrastructure de données de pointe pour soutenir l’analyse des facteurs de risque et l’intégration des portefeuilles.
Conclusion
Alors que les investisseurs institutionnels évoluent dans des marchés de plus en plus complexes et dynamiques, l’APT offre un modèle évolutif intéressant qui va au-delà de la SRA traditionnelle. En délaissant les mandats cloisonnés liés à des catégories d’actif et en optant pour un cadre unifié axé sur les résultats, l’APT permet une prise de décisions plus souple, plus efficace et qui tient davantage compte des risques. Toutefois, cette transformation exige un changement fondamental dans la gouvernance, la culture et les capacités. Les institutions qui peuvent favoriser la collaboration interfonctionnelle, adopter une philosophie axée sur les facteurs de risque et donner aux équipes de placement les bons outils et pouvoirs sont les mieux placées pour libérer le plein potentiel de l’APT. Pour les investisseurs qui utilisent actuellement la RSA, mais qui sont limités par la taille de l’actif, les ressources ou la structure de gouvernance, il reste d’excellentes occasions d’intégrer graduellement les éléments d’une APT au fil du temps.