Cet été, les marchés ont semblé calmes. Les taux obligataires ont été confinés dans une fourchette étroite, la volatilité des taux d’intérêt et des marchés boursiers s’est effondrée, les écarts de taux se sont resserrés et les marchés boursiers atteignent de nouveau leurs sommets historiques. De nombreux investisseurs ont eu l’impression que la tempête provoquée par les tarifs douaniers était enfin passée. Mais les eaux calmes peuvent être trompeuses. Sous la surface, de puissants courants sous-jacents façonnent les perspectives.
Les marchés obligataires se comportent comme si la désinflation était acquise et que les baisses de taux étaient garanties. Pourtant, les pressions en amont refont surface : les prix à la production, les tarifs douaniers et les coûts unitaires de la main-d’œuvre laissent entrevoir une inflation qui pourrait persister. Le risque ne réside pas dans ce que nous observons aujourd’hui, mais dans ce que le marché ignore peut-être.
Les taux sont englués dans un piège
Les taux d’intérêt sont tiraillés entre des forces contraires. D’un côté, la politique, la stratégie budgétaire et l’état général de l’économie américaine sont autant de facteurs qui limitent la hausse des taux obligataires. En effet, la préférence du Trésor américain pour l’émission d’obligations à court terme (plutôt que d’obligations à long terme), le risque omniprésent d’outils de répression financière comme le contrôle de la courbe des taux (un outil de politique monétaire qui cible les taux d’intérêt à des points précis de la courbe des taux) et la fragilité de la demande de logements et de la demande des consommateurs (que même une légère hausse des taux d’intérêt pourrait affaiblir encore) constituent autant de plafonds. D’un autre côté, il est peu probable que les taux d’intérêt baissent considérablement. L’augmentation des dépenses budgétaires (voir le graphique 1) et les déficits publics persistants ont entraîné une offre continue d’obligations, tandis que les primes de terme élevées (la rémunération supplémentaire exigée par les investisseurs pour détenir des obligations à long terme) maintiennent les obligations à plus long terme à l’abri des mouvements de baisse. De plus, les indices des prix à la production sont de nouveau en hausse et les coûts de main-d’œuvre demeurent élevés. Ensemble, ces forces expliquent pourquoi les taux d’intérêt peuvent fluctuer à l’intérieur d’une fourchette, mais il est peu probable qu’ils s’en écartent résolument dans un sens ou dans l’autre.
Graphique 1 : Les dépenses américaines devraient monter en flèche
Sources : US Congressional Budget Office et Macrobond
Les récentes déclarations de la Réserve fédérale américaine (Fed) reflètent une position prudemment conciliante, favorable à un assouplissement de la politique monétaire. Lors du symposium économique de Jackson Hole à la fin d’août, le président de la Fed, M. Powell, a indiqué qu’il adopterait une position conciliante à court terme à l’égard de l’emploi, tout en réaffirmant l’engagement de la Fed à l’égard de la cible d’inflation de 2 %. Les participants aux marchés ont interprété ces remarques comme un signal de baisses de taux potentielles. En réalité, même si des réductions de taux sont effectivement anticipées dès septembre, sauf en cas de détérioration importante des données sur le marché de l’emploi, le seuil d’inflation limitera la trajectoire d’assouplissement.
Le calme au mauvais moment
Les marchés considèrent que le calme actuel est permanent. Pourtant, les pressions sous-jacentes envoient un tout autre message. Les prix à la production de base ont augmenté de 3,7 % par rapport à l’année dernière et frôlé la limite supérieure de la fourchette observée depuis 2022. La composante des salaires de l’indice du coût de l’emploi, à 3,6 % sur 12 mois, demeure nettement supérieure à sa moyenne sur 25 ans. Jusqu’à présent, les répercussions directes des tarifs douaniers sur les consommateurs ont été atténuées par les entreprises qui ont écoulé les stocks accumulés avant leur entrée en vigueur. Plus récemment, l’indépendance de la banque centrale américaine semble remise en question, ce qui a toujours été associé à une hausse de l’inflation à long terme. Par ailleurs, l’indice MOVE, qui reproduit la volatilité des marchés obligataires, se situe près de creux cycliques (voir le graphique 2), ce qui est un signe classique de complaisance. L’histoire montre que les moments de calme précèdent souvent les périodes de turbulence. Si l’inflation refait surface, le calme actuel s’avérera fragile.
Graphique 2 : Effondrement de la volatilité des marchés obligataires depuis avril
Sources : BofAML selon ICE et Macrobond
Le grand décalage : emplois contre bénéfices
Le décalage le plus frappant est entre le marché de l’emploi et les bénéfices des sociétés. La croissance de l’emploi ralentit, les révisions à la baisse étant un thème récurrent. Aux États-Unis, la croissance de l’emploi a considérablement ralenti, avec une moyenne de seulement 35 000 créations d’emplois par mois entre mai et juillet, soit la période la plus faible depuis la pandémie. Par ailleurs, les renouvellements de demandes de prestations d’assurance-chômage sont en hausse (voir le graphique 3). Les entreprises maintiennent leur politique d’absence d’embauche et de mise à pied, ce qui signifie qu’elles conservent leur personnel, mais hésitent à embaucher de nouveaux employés. Malgré cela, les sociétés américaines affichent des résultats résilients. Les marges, les revenus et les bénéfices au cours de la dernière période de publication des résultats ont été plus élevés que prévu. Les gains de productivité, la rationalisation des activités et l’adoption précoce de l’IA pourraient y contribuer. Nous croyons toutefois que cet écart n’est pas viable. Si le marché de l’emploi continue de s’affaiblir, la demande finira par diminuer et les bénéfices seront menacés. La question de savoir si les bénéfices peuvent demeurer résilients alors que la situation de l’emploi se détériore déterminera la prochaine étape de l’orientation du marché.
Graphique 3 : Les renouvellements de demandes de prestations d’assurance-chômage donnent à penser qu’il est difficile de trouver un emploi
Sources : Département du travail des États-Unis et Macrobond
Marchés financiers
Le momentum économique a ralenti tout au long de l’été, mais les marchés boursiers ont bien résisté à la faiblesse du rapport sur l’emploi en juillet ainsi qu’à l’incertitude entourant les tarifs douaniers. En août, l’indice S&P 500 et l’indice composé S&P/TSX ont atteint des sommets historiques, l’indice VIX ayant atteint son plus bas niveau depuis mars. Depuis le début de l’année, les actions américaines ont progressé d’un peu moins de 10 %, tandis que les actions canadiennes, européennes et des marchés émergents ont inscrit des gains supérieurs à 10 %.
D’autres catégories d’actif ont enregistré des rendements moins favorables. Le rebond du pétrole brut WTI en juin s’est rapidement inversé, et les prix du pétrole brut demeurent négatifs depuis le début de l’année. L’indice du dollar américain est demeuré stable tout au long de l’été, mais il demeure négatif depuis le début de l’année.
Les taux obligataires demeurent à l’intérieur des limites établies en raison des fluctuations des discours sur les marchés et des politiques cohérentes des banques centrales. En effet, la Fed (4,25 %-4,50 %) et la Banque du Canada (2,75 %) ont maintenu leurs taux directeurs inchangés au cours de l’été. Les écarts de taux des obligations de sociétés canadiennes se sont resserrés à leurs niveaux d’avant la crise en juin et en juillet, avant de s’élargir légèrement à la mi-août, parallèlement à une forte hausse des émissions. L’indice des obligations universelles FTSE Canada est négatif depuis le début du troisième trimestre et seulement légèrement positif depuis le début de l’année.
Stratégie de portefeuille
Pour les investisseurs, le contexte actuel exige une approche sélective.
La pondération des actions dans les portefeuilles équilibrés est revenue à celle du marché, en raison de la diminution des probabilités de récession vers la fin du deuxième trimestre. Les données récentes indiquent un ralentissement graduel de l’économie plutôt qu’un repli important, ce qui a réduit le risque de baisse. Parallèlement, les actions sont maintenues à flot par de solides bénéfices. Ce décalage justifie toujours une certaine prudence, mais l’ajustement tient compte du fait que les risques de baisse ne sont pas aussi prononcés qu’au début de l’année. Dans les portefeuilles d’actions fondamentales, l’accent est mis sur la qualité. Les sociétés de grande qualité affichant une croissance durable des bénéfices demeurent des placements de base. La probabilité d’un profond ralentissement économique ayant diminué, l’exposition aux secteurs défensifs traditionnels du marché a été réduite et des placements sélectifs dans des sociétés cycliques de qualité dont les valorisations sont intéressantes ont été ajoutés.
Dans les portefeuilles de titres à revenu fixe, la stratégie demeure prudente. Comme les taux devraient rester confinés dans une fourchette, la durée est gérée de façon tactique. La forme de la courbe des taux a plus d’importance que son niveau absolu. Les taux à court terme seront ancrés par la politique monétaire, tandis que les taux à long terme seront mis sous pression par l’offre budgétaire, ce qui entraînera une accentuation des courbes de taux. Les données fondamentales du crédit demeurent favorables, mais les écarts de crédit sont trop serrés pour offrir un rendement intéressant, ce qui justifie une position neutre.